The State of Humanitarian Professions 2020 : l’étude en résumé
Découvrez dans cette page le résumé de l’étude « Etat des lieux des métiers humanitaires » (SOHP) menée par Bioforce en 2020 et publiée en 2021.
Cette étude a identifié 24 domaines professionnels, dont les caractéristiques et les changements de nature ont été documentés à travers une consultation auprès des professionnels de l’humanitaire. Elle vise à examiner dans quelle mesure chacun de ces domaines peut être considéré comme une profession et si l’on peut parler à leur sujet d’une véritable professionnalisation. Parallèlement, l’étude a recueilli les visions des humanitaires sur les compétences nécessaires pour opérer dans leur domaine professionnel, ainsi que les compétences susceptibles de les différencier d’un travail équivalent non humanitaire.
En complément de résultats pour chaque domaine professionnel, ce rapport présente les résultats communs aux 24 domaines professionnels. Cette analyse générale s’attache également à déterminer dans quelle mesure les humanitaires s’identifient à une profession unique, et jusqu’à quel niveau ces domaines se sont professionnalisés. Elle tente d’identifier des compétences spécifiques à l’humanitaire qui s’applique à tout type de fonction humanitaire. SOHP vise également à déterminer les changements communs aux métiers de l’humanitaire, ainsi que les tendances en matière de recrutement, de développement professionnel et de progression de carrière.
Conformément à la nature consultative de l’étude, des recommandations ont été élaborées par les humanitaires qui ont participé à la conférence SOHP.
Introduction
L’objectif de l’étude SOHP est d’aider les personnes et les organisations dans leur démarche de professionnalisation et d’amélioration continue de l’action humanitaire. SOHP vise à atteindre cet objectif en recueillant des informations utiles et à jour sur les métiers de l’humanitaire et en les partageant avec les personnes et les organisations impliquées dans le travail humanitaire, ainsi qu’avec les organisations qui aident les humanitaires à apprendre et à s’améliorer.
Cette étude se focalise sur l’action humanitaire pour fournir des informations spécifiques et utiles sur un groupe défini de professions, pas pour renforcer des systèmes en silo. Nous espérons que les résultats présentés dans ce rapport seront à même de fournir les informations dont les personnes et les organisations ont besoin pour collaborer tout au long de la chaine humanitaire-développement-paix.
A travers une consultation de 1 000 humanitaires, cette étude donne un aperçu des métiers humanitaires d’aujourd’hui. Plutôt que de tenter de donner une description exhaustive d’un secteur aussi large et complexe, SOHP s’est a à capturer les expériences, les visions et les opinions des personnes qui y travaillent.
- 98 entretiens ont été réalisés avec des informateurs clefs représentant les 24 domaines professionnels
- 753 humanitaires ont contribué à une enquête en ligne
- Les résultats recueillis lors des entretiens et de l’enquête ont ensuite été discutés dans onze ateliers locaux, totalisant 121 participants : au Bangladesh, au Burkina Faso, en Colombie, en France (2), au Sénégal, en Sierra Leone, en Suisse, en Ouganda, au Royaume-Uni et aux USA.
Tous ces contributeurs, ainsi que ceux qui ont organisé et animé les ateliers locaux, ont donné de leur temps et de leur expertise, et Bioforce leur en est particulièrement reconnaissant. Cependant, de telles approches « communautaires » pour la recherche ont leurs limites. En tant qu’ONG basée en France, la communauté Bioforce pèse plus lourd du côté européen et dans les pays francophones. La sélection des personnes interviewées a reposé sur les connaissances et les réseaux de l’équipe SOHP, les ateliers ont eu lieu en fonction du bon vouloir des organisations hôtes, et les participants à l’enquête et aux ateliers se sont portés volontaires. En résumé, les acteurs de cette étude ne sont pas représentatifs de l’ensemble des domaines professionnels ou du secteur de l’humanitaire. Leur contribution n’en reste pas moins fascinante.
L’environnement humanitaire
Les changements en matière de modèles socio-économique, politique et de dynamiques de pouvoir sont en train d’impacter les règles et les réglementations qui régissent l’environnement de l’action humanitaire. Les défis en matière de sécurité et les conditions climatiques en évolution influent à la fois sur les besoins des communautés affectées, et sur l’accès auquel en ont les humanitaires.
Les organisations humanitaires doivent faire face à tous ces défis et s’y adapter. Ces changements ont à leur tour une influence sur les métiers de l’humanitaire. SOHP a souligné quatre zones de changement :
- Adaptation : les organisations doivent réagir plus vite, être plus agiles dans la mise en œuvre de leurs projets, travailler en transversal des secteurs et des frontières opérationnelles traditionnelles, opérer dans des situations complexes qui comprennent crises prolongées, accès réduit et politisation de l’aide. Le personnel humanitaire doit posséder des compétences multiples, être créatif et être un « solutionneur de problèmes ».
- Localisation : malgré les accords internationaux, la localisation de l’aide est plus lente que prévue. On attend des organisations internationales une accélération de ce processus. Elles vont continuer à évoluer de la mise en œuvre au conseil et au renforcement des capacités, à réorienter les activités et les financements et à engager du personnel local qui mènera ce changement.
- Technologie : la numérisation modifie la nature de l’aide humanitaire et permet un plus grand contrôle de chaque aspect de la mise en œuvre de l’aide. Les programmes de transfert monétaire influencent tous les aspects du travail humanitaire et les compétences numériques sont une nécessité de base pour le personnel.
- Coordination et collaboration : les organisations doivent décider de collaborer ou se regrouper, et adapter leurs effectifs et leur présence géographique en conséquence. Etant donné que les besoins augmentent plus vite que les financements et que de plus en plus d’acteurs non traditionnels sont impliqués dans l’humanitaire, la compétition au niveau de l’obtention des financements ne va faire que croître.
Les métiers humanitaires
L’étude a identifié 24 domaines professionnels, regroupés en deux catégories :
- Les professions fonctionnelles : plaidoyer, transferts monétaires, relations bailleurs et gestion des subventions, gestion des finances, gestion des ressources humaines, technologies de l’information et de la communication, gestion de l’information, coordination inter-agences, logistique, SERA (Suivi, Evaluation, Redevabilité, Apprentissage), gestion de projets et la sécurité.
- Les professions thématiques : coordination et gestion de camp, éducation, sécurité alimentaire et moyens de subsistance, santé, assistance juridique, action contre les mines, nutrition, maintien et consolidation de la paix, protection (incluant diversité et inclusion), abris et articles non alimentaires, eau, hygiène et assainissement (EHA).
De nombreux participants ont été surpris de devoir décrire leur domaine de travail en tant que profession et, lorsque nous leur avons demandé de le rattacher à un domaine professionnel, près de la moitié des participants ont sélectionné le maximum de réponses possibles, soit 5 catégories. Lorsqu’il leur a été demandé d’identifier la profession à laquelle ils s’associaient le plus, 16% ont choisi la gestion de projet. Viennent ensuite la protection, la logistique, la santé, l’EHA et le SERA, comptabilisant chacune entre 6% à 8% des participants.
Les entretiens ont montré que plusieurs domaines professionnels avaient développé des normes, des bonnes pratiques et des programmes d’apprentissage associés. Cependant, très peu de domaines professionnels dans l’humanitaire ont développé des référentiels communs de compétences ou des mécanismes de certification pour le personnel. Aucun ne dispose d’une association professionnelle formellement reconnue, bien que les plateformes de coordination, les réseaux et les communautés actives de praticiens soient nombreux.
La professionnalisation des différents domaines professionnels varie de manière significative. Certains ne se reconnaissent pas en tant que profession, tandis que d’autres ont déjà entamé le travail de professionnalisation. Certains, lorsqu’il existe déjà une profession établie en dehors du secteur humanitaire (comme la gestion financière), ne voient pas d’intérêt majeur à une professionnalisation spécifique au secteur. D’autres semblent avoir de réelles opportunités pour avancer sur la professionnalisation, soit parce qu’ils ont déjà des exigences très claires en termes de connaissances et de compétences (relations bailleurs et gestion des subventions), soit parce qu’il existe une structure de professionnalisation en dehors du secteur qu’ils peuvent adopter (gestion de projet). Il est intéressant de noter que certains domaines professionnels plus jeunes semblent être passés à la professionnalisation plus rapidement.
Les professionnels de l’humanitaire font face à des changements. Plus de 55% des participants en ont identifiés dans leur métier, causés par les récentes évolutions du secteur. Nos contributeurs ont souligné 5 zones de changement qui semblent être communes à toutes les professions :
- Les humanitaires doivent posséder de plus grandes connaissances en matière de nouvelles technologies.
- Le travail des humanitaires a changé de manière significative afin de s’adapter aux programmes de transfert monétaire.
- Les humanitaires travaillent de manière plus rapprochée avec leurs collègues d’autres domaines professionnels humanitaires.
- Les humanitaires passent plus de temps à répondre aux exigences de conformité des bailleurs.
- Les humanitaires pratiquent de plus en plus le management à distance.
Recrutement, développement et progression de carrière
Les organisations évoquent fréquemment des difficultés à recruter du personnel avec les compétences adéquates et pourtant, même des personnes talentueuses peinent à intégrer le secteur humanitaire.
L’étude a montré que l’offre et la demande de candidats pour le secteur semblent très corrélées aux contextes et dans l’ensemble, assez équilibrées. Ceci renforce l’idée selon laquelle le défi repose sur la capacité à « matcher » candidats et opportunités.
SOHP souligne l’importance que les organisations humanitaires donnent à l’expérience humanitaire lors du recrutement. Les observations montrent que les candidats sont plus enclins à être embauchés à l’intérieur du secteur et que l’expérience humanitaire est considérée comme le facteur le plus important lors du recrutement (plutôt que la preuve des compétences professionnelles).
Les contributeurs ont souligné les efforts menés afin, d’une part, d’atténuer le manque de diversité au niveau du recrutement et, d’autre part, de nationaliser les postes (auparavant internationalisés). Les leviers de ces changements restent flous et de nombreux participants ont le sentiment que les facteurs économiques ont une plus grande influence que les engagements à plus de localisation ou de diversification. Le travail humanitaire continue de dépendre du personnel sous contrat court. Plus préoccupant, des inquiétudes ont été soulevées quant à la transparence et à l’existence potentielle de népotisme dans le processus de recrutement.
Le nombre et le type d’opportunités de développement professionnel disponibles pour le personnel humanitaire semblent être en augmentation. La formation en présentiel parait être privilégiée, suivie de près par la formation en ligne. Près d’un tiers des participants à l’enquête a récemment eu accès à des sessions de coaching, de mentorat ou d’observation. Malgré cela, certaines inquiétudes persistent :
- De nombreux programmes d’apprentissage n’atteignent pas les personnes qui en ont le plus besoin et il existe une inégalité considérable en termes d’accès à ces opportunités.
- La qualité et l’impact de nombre de ces interventions restent à démontrer.
- Les opportunités de développement professionnel ne sont pas à la hauteur des changements attendus du personnel.
Selon les participants, un meilleur accès à la formation en présentiel serait très utile, suivi de coaching, de mentorat, puis d’observation.
Lorsqu’on leur demande d’estimer la durée de leur engagement professionnel dans l’humanitaire, plus de 45% répondent : « 10 ans ou moins ». Ce résultat peut constituer une remise en question de l’idée du travail humanitaire comme véritable choix de carrière ou refléter la tendance générale d’un modèle plus « nomade », dans lequel moins de personnes consacrent leur carrière à un seul secteur. Ceux qui comptent passer moins de temps dans le secteur sont également plus enclins à y prendre des emplois périodiques (plutôt que continus).
Les participants ont souligné les principales raisons qui poussent leurs collègues à sortir du secteur humanitaire : l’épuisement professionnel (burn out, partiellement lié à des postes en situation de crise prolongée sur des durées plus importantes), une charge de travail élevée, le manque de soutien psycho-social, le désir de passer plus de temps en famille, le manque d’opportunités de carrière, un accompagnement insuffisant pour progresser au sein de leur propre organisation, ainsi que les niveaux de salaire.
Les compétences humanitaires
Le Core Humanitarian Competency Framework (Cadre des Compétences Humanitaires Essentielles) de 2011, révisé en 2017, fournit un point de référence intéressant en tant que cadre générique de compétences du secteur humanitaire. L’étude SOHP n’avait pas pour but d’être un doublon du CHCF, mais plutôt d’identifier les compétences liées au travail humanitaire susceptibles de le distinguer d’autres secteurs. Ce travail d’identification pourra être utile à divers titres :
- Les personnes ne connaissant pas le travail humanitaire pourront se focaliser sur les compétences nécessaires dont ils pourront se doter afin d’être efficaces.
- Les recruteurs humanitaires connaîtront les écarts en termes de compétences des candidats potentiels provenant d’autres secteurs et le temps qui leur sera nécessaire pour se mettre au diapason.
- Les ONG et les Organisations de la Société Civile (OSC), dont le mandat premier n’est pas le travail humanitaire, mais qui sont souvent des acteurs clefs dans la réponse aux crises humanitaires, sauront quelles sont les compétences supplémentaires nécessaires à leurs équipes pour opérer dans ces contextes.
- La valeur des métiers de l’humanitaire, indépendamment de celle de leurs homologues du secteur privé ou public, peut être établie.
82% des participants à l’enquête pensent que leur domaine professionnel humanitaire est unique (13%), ou qu’il nécessite des compétences qui le distinguent des professions non humanitaires équivalentes (69%).
A travers les entretiens, les réponses à l’enquête et les ateliers, les participants ont identifié et se sont mis largement d’accord sur les savoirs et savoir-faire, mais également les comportements, qui constituent les compétences spécifiques à l’humanitaire.
Bien qu’il soit difficile de prouver que ces compétences sont entièrement spécifiques au secteur, il semble raisonnable de les estimer particulièrement importantes pour le travail humanitaire et potentiellement différentes de celles d’autres domaines.
Conférence SOHP et recommandations
Conformément à la méthodologie adoptée pour l’étude, la conférence SOHP a proposé aux humanitaires un espace pour réfléchir aux résultats de l’étude et formuler des recommandations.
Le 17 novembre 2020, 566 participants ont rejoint la première partie de la conférence, écoutant et commentant les résultats présentés. Parmi eux, 216 ont répondu aux sondages proposés, produisant ainsi des données supplémentaires qui, dans la plupart des cas, confirment les résultats existants.
La seconde partie de la conférence a impliqué 63 professionnels humanitaires sélectionnés, tous intéressés par les ressources humaines, l’apprentissage et la professionnalisation. Ils ont collaboré à la formulation de 19 recommandations en réponse à quatre questions fondamentales qui se sont dégagées de l’étude :
- Comment encourager la professionnalisation alors même que les métiers ne sont pas reconnus ? Avons-nous besoin de métiers pour stimuler la professionnalisation ?
- Comment mettre fin aux préjugés qui rendent le recrutement humanitaire moins efficace ?
- Comment s’assurer que les humanitaires ont les compétences nécessaires pour faire leur travail efficacement ? Et quels sont les risques encourus dans le cas contraire ?
- Comment favoriser la localisation du personnel humanitaire ?
Les réponses à ces questions constituent les recommandations de l’étude.
Découvrir les 19 recommandationsProchaines étapes
100% des personnes interrogées ont jugé la conférence utile et 95% souhaitent que le travail soit poursuivi à l’avenir. Plus de quatre personnes sur cinq soutiennent le concept d’un observatoire permanent des métiers humanitaires. Un expert a décrit l’étude comme « décisive et qui arrive à point nommé ».