Samia Medawar, journaliste, a interrogé des femmes, toutes diplômées Bioforce et engagées sur les terrains humanitaires, pour en savoir plus.

Il n’est pas inhabituel, de nos jours, de voir des femmes travailler dans l’humanitaire. Si au Centre Bioforce Europe, près d’un élève formé sur deux est une femme, ce taux est en revanche bien inférieur au Centre Bioforce africain de Dakar, où on compte seulement 20% de futures humanitaires. De plus en plus de femmes se disent pourtant intéressées par l’humanitaire, y compris par des métiers traditionnellement réservés aux hommes, comme la logistique. C’est d’ailleurs la raison qui a poussé Sharifa, une Ougandaise de 36 ans, à suivre une formation de Responsable Logistique au Centre Bioforce de Dakar. « J’ai remarqué que la majorité des logisticiens sont des hommes, et j’ai trouvé ça un peu étrange parce que dans la plupart des ONG, il y a une certaine parité entre hommes et femmes. Sauf en logistique. Les femmes se doivent de contribuer parce que les programmes humanitaires ont besoin d’une main d’œuvre diversifiée pour mieux comprendre et appréhender les besoins variés des bénéficiaires », avance -t-elle, décidée à bousculer les quotas.

« Les genres sont bien représentés ».

Dans le monde humanitaire, on observe une augmentation des effectifs féminins, dans un contexte de plus en plus exigeant en termes de parité. Parmi les femmes diplômées de Bioforce que nous avons rencontrées, beaucoup témoignent d’une grande tolérance de la part de leurs confrères masculins, mais aussi et surtout de la société d’accueil. C’est le cas par exemple d’Amélie, ancienne élève de la promotion 2016, qui travaille pour l’ONG Initiative Développement aux Comores, sur l’île d’Anjouan. “Dans l’équipe, les genres sont très bien représentés”, affirme la jeune femme. “On avait d’ailleurs une directrice femme. Aujourd’hui, on est 4 responsables de programmes et on est toutes des femmes. On a une bonne représentation féminine, ce qui plaît à nos bailleurs d’ailleurs”. Et de préciser qu’elle et ses collègues “sont souvent bien accueillis par les chefs de village, les responsables religieux et les maîtres des écoles coraniques, très présents sur l’aide au développement”.

Une plus grande présence des femmes.

Cette acceptation n’est pas un phénomène particulièrement nouveau. “Je n’ai pas eu de difficultés particulières à gérer des équipes à 99% masculines, ni à travailler avec les fournisseurs, que ce soit dans des pays comme l’Afghanistan, le Bangladesh, ou ailleurs. On pourrait se dire que c’est compliqué, mais je ne l’ai jamais vraiment ressenti comme ça”, raconte Nathalie, diplômée de 1994 et aujourd’hui directrice associée en charge des Départements Logistique et IT d’Action contre la Faim USA à New York. Une longue carrière et un parcours impressionnant dans l’humanitaire ont permis à Nathalie de constater quand même une plus grande présence des femmes, notamment dans la logistique qui s’est considérablement “féminisée” ces 25 dernières années, selon elle. “Je pense que l’arrivée des femmes dans la logistique humanitaire a été facilitée par l’évolution du secteur et des profils recherchés, et notamment le passage du « logisticien tournevis » au logisticien manager. Une grande porte s’est aussi ouverte pour beaucoup de logisticiennes qui n’étaient pas forcément techniques, par le biais de l’approvisionnement. »

« On avait accès à la fois aux milieux masculin et féminin ».

Il n’en reste pas moins que nombre de femmes continuent de rencontrer des réticences au cours de leurs missions. C’est le cas par exemple de Marlène, qui revient de plusieurs mois de mission au Bangladesh avec deux grandes ONG internationales, et s’apprête à repartir, au Yémen cette fois. Si elle affirme n’avoir rencontré aucune difficulté avec ses collègues – “au contraire, être une femme a été un avantage parce qu’on avait accès à la fois aux milieux masculin et féminin” – elle explique que “dans les communautés locales, il y avait des précautions à prendre sur le plan vestimentaire”, notamment dans les zones majoritairement musulmanes, où il y a peu d’expatriés. Dans certains cas, les traditions ou croyances peuvent également compliquer la mission en cours. “Au Bangladesh, le propriétaire de l’hôtel dans lequel on vivait au début de la mission était très rigoriste et pratiquant”, raconte Marlène. “Il refusait donc de serrer la main aux femmes et de s’adresser à elles directement. Ce qui complique les négociations, parce que je devais forcément passer par un intermédiaire. Cela retarde considérablement la mission. Mais quand le chef de mission, un grand barbu, est arrivé, pleins de choses se sont débloquées”, ajoute-t-elle en riant.

« La question du genre est partout ».

Les réticences à une plus grande représentation féminine dans l’humanitaire ne se limitent pas au pays d’intervention. Elles peuvent également être présentes au sein même de l’organisation, mais pour des raisons différentes. Machisme, sentiment d’insécurité : autant de raisons, entre autres, pour freiner l’ascension de certaines au sein d’une organisation, et les supérieurs hiérarchiques peuvent y être pour quelque chose, consciemment ou pas. “On dit souvent que les femmes, dès qu’elles commencent à se montrer fermes ou autoritaires, doivent utiliser d’autres manières de faire les choses pour arriver aux mêmes résultats. C’est quand même un peu plus compliqué. Il y a beaucoup d’initiatives dans ce sens aujourd’hui, et la question du genre est partout. Les ONG se rendent compte qu’elles ont besoin d’une variété́ de personnes, que ce soit en termes de sexe ou d’origine. Il y a des femmes à des postes de direction, y compris en logistique”, estime Nathalie.

Lentement mais sûrement, les choses sont donc en train de changer. Les inégalités de salaire ou les discriminations sont aujourd’hui ouvertement remises en causes, et les perceptions évoluent. Mais comme le nuance toutefois une autre interlocutrice : « Ce n’est pas encore totalement généralisé. Entre avoir un siège et avoir la possibilité de réellement l’occuper, il y a une petite marge ».


 

Photo : UE/ECHO – CC


Cet article a été publié dans le numéro 1 de la Lettre d’Information Bioforce

L’auteur

Samia Medawar est journaliste. D’origine libanaise, elle a longtemps collaboré au quotidien de Beyrouth « L’Orient-Le Jour », l’un des meilleurs du monde arabe selon Courrier International. Elle vit aujourd’hui en France.