Retour sur la première HEAT Bioforce au Burkina Faso
La première formation HEAT de Bioforce a eu lieu en septembre dernier au Burkina Faso, un pays durement touché par la dégradation du contexte sécuritaire. Entretien avec Guillaume Noailly, coordinateur du pôle de compétence Sûreté & Sécurité, et coordinateur sur place de la formation.
Guillaume, tu reviens du Burkina Faso où tu as coordonné notre première formation HEAT. Peux-tu brièvement nous rappeler ce qu’est le HEAT ?
HEAT est l’acronyme de Hostile Environment Awareness Training, qui peut être traduit par « formation en sécurité personnelle dans des contextes de sécurité hostiles ». C’est donc une formation sur le thème de la sécurité personnelle qui s’adresse à des humanitaires déployés dans des zones à risques sécuritaires importants. Elle devient progressivement obligatoire pour les humanitaires travaillant sur ces terrains difficiles, notamment car les ONG prennent de plus en plus au sérieux leur devoir de diligence (« duty of care ») envers leurs salariés, c’est-à-dire tout ce qu’elles doivent mettre en place en termes d’information et de pratiques pour offrir un environnement dans lequel leur personnel peut réaliser leurs missions dans les meilleures conditions de sécurité possibles.
En quoi consiste cette formation ?
Ce sont 4 jours pendant lesquels on va former les participants, notamment via des phases de simulation, aux bons gestes à adopter lors d’un contrôle à un barrage routier, lors d’un kidnapping, d’une attaque de bureau ou d’une embuscade sur la route, et à la gestion immédiate des personnes blessées ou traumatisées par ces évènements. L’idée est de leur apprendre à faire face à des situations qui mettent en péril leur intégrité physique et mentale. Le premier jour est consacré à une mise à jour sur les fondamentaux de la gestion de la sécurité et des premiers secours et à la mise en place du scénario. Comment se protéger en tant qu’individu ? Quelle est la place de l’individu dans l’organisation par rapport à la sécurité ? Comment stabiliser une personne blessée ? Ensuite, répartis par groupes d’ONG, les participants vont travailler sur différents scénarios. Puis on lance les simulations et après chaque scène, on débriefe tous ensemble, pour tirer les enseignements de ce que l’on a bien ou moins bien fait, les bonnes pratiques à retenir. Au cours des jours 2, 3 et 4 se succèdent ainsi des simulations, des débriefings « à chaud » et des sessions de résumé des apprentissages. La formation se termine par un débriefing global. Cette formation demande une préparation rigoureuse : à la fois sur les aspects logistiques (lieu, accessoires, déguisements, véhicules pour les scènes) et humains (coordination des formateurs, acteurs, figurants) et bien sûr gérer les participants qui vivent sur place pendant 4 jours. Organiser un HEAT Bioforce dans un pays où nous n’avons pas d’implantation permanente requiert aussi d’avoir un partenaire bien implanté sur place pour nous appuyer dans l’organisation et la sécurité de l’exercice, le lien avec les autorités et les prestataires. Au Burkina Faso, nous avons pu compter sur le soutien d’Action contre la Faim que nous remercions chaleureusement.
A la différence d’autres versions de HEAT, dans celui de Bioforce les participants savent qu’à 17h la journée de formation est finie : on fait le choix de favoriser l’apprentissage, et donc de les garder dans une certaine fraîcheur physique et mentale.
Ce type de formation a pour réputation d’être intense. Comment les participants sont-ils encadrés ?
Ces 4 jours sont en effet intenses pour les participants, car on les met dans des situations stressantes et on les pousse dans leurs retranchements, émotionnellement surtout. Même s’ils connaissent le sujet, les objectifs et le cadre de la formation, nous ne leur donnons pas plus d’informations et ils se demandent toujours « à quelle sauce ils vont être mangés ». Ça crée de l’appréhension, mais aussi un état d’excitation et de mobilisation adéquat. A la différence d’autres versions de HEAT, dans celui de Bioforce les participants savent qu’à 17h la journée de formation est finie : on fait le choix de favoriser l’apprentissage, et donc de les garder dans une certaine fraîcheur physique et psychologique. Il est important aussi de savoir que nous avons mis en place un dispositif de soutien psychologique. En amont, un questionnaire est envoyé aux participants pour connaître leur environnement professionnel, faire le point sur leur santé physique, savoir s’ils ont déjà subi des traumatismes ou s’ils souhaitent déclarer des fragilités particulières. Si on identifie des personnes avec des problématiques de santé, par exemple une fragilité du genou, on leur apporte une attention particulière tout au long de la formation. Les objectifs de la formation doivent pouvoir être atteints sans impacter la santé et le bien-être des participants.
Comment cela s’est-il traduit pendant la formation ?
Sur cette première édition, nous étions 4, 3 formateurs et moi-même, plutôt en charge de la logistique et de la coordination. Nous sommes tous formés et avons expérimenté les premiers secours psychologiques. Il y a également toujours un formateur qui observe les participants et qui se tient prêt à sortir un participant des scènes et apporter un soin lorsque cela est nécessaire. Les participants sont conscients d’être dans un exercice, mais la plupart décrit pourtant l’impression de vivre réellement les attaques. A la fin de chaque scène, on réalise aussi un débriefing psy, qu’on appelle aussi « defusing ». Les participants expliquent ce qu’ils ont ressenti, et ça leur permet d’évacuer en grande partie les petits traumatismes ou la pression. Les defusings sont également utilisés lorsqu’il y a un accident sécu sur le terrain ; c’est donc aussi une technique qu’ils apprennent lors de la formation. Notre référente en psychologie peut aussi être sollicitée à distance par les participants pendant la formation, mais aussi une semaine après la fin de la formation.
Qu’est-ce qu’apporte une formation de ce type ?
Elle peut sauver des vies, c’est pourquoi il faut prendre le sujet au sérieux. Elle permet aussi d’agrandir l’espace humanitaire. Car par exemple si des humanitaires savent bien se comporter face à des acteurs armés à un check-point, ça leur permettra peut-être de passer, d’agir et in fine ça aura un impact sur l’acceptation des ONG dans le pays et donc sur l’accès aux bénéficiaires. Savoir bien réagir ne profite donc pas uniquement à la personne, ni même à son organisation, mais à la communauté humanitaire dans son ensemble. A l’inverse, les incidents sécuritaires graves réduisent immédiatement l’accès humanitaire. Par contre, cette formation ne doit pas se substituer aux efforts et aux progrès énormes de ces dernières années sur la gestion des risques sécuritaires pour éviter la survenance de ces situations extrêmes (attaques, kidnapping, agressions…) ou leur impact. Enfin, si cette formation permet dans certains cas d’avoir les bons réflexes ou de limiter les problèmes, la marge de manœuvre est évidemment limitée aux moyens de protection dont disposent les organisations humanitaires et à la nature de l’attaque.
Nous nous différencions par notre stratégie de localisation, […] proposer ces formations au plus près des humanitaires et de leurs terrains d’intervention.
D’autres organisations, ONG ou entreprises, proposent des formations HEAT. En quoi Bioforce se démarque-t-il ?
Bioforce propose une alternative en étant à la fois un acteur humanitaire, non lucratif, indépendant, en capacité de proposer une formation de qualité qui est également abordable. On bénéficie aussi d’une expertise de longue date dans l’organisation de simulations terrain dans nos formations certifiantes, qui nous a servie bien sûr pour développer le HEAT. Nous nous différencions encore par notre stratégie de localisation, c’est-à-dire que nous souhaitons proposer ces formations au plus près des humanitaires et de leurs terrains d’intervention. C’est pour cela que nous avons choisi pour ces premières éditions le Burkina Faso où la situation sécuritaire se dégrade rapidement. Nous allons en proposer d’autres dans la région du Sahel et, d’une manière plus générale, là où le niveau de sécurité et la qualité des partenariats sur place le permettront. Enfin, malgré la crise de la Covid-19, nous avons fait le choix de la maintenir en présentiel. C’est à la fois un véritable challenge dans la mise en œuvre et une prise de position dans le contexte actuel. Le protocole sanitaire a d’ailleurs été très bien respecté, port du masque obligatoire, nettoyage régulier des mains, distanciation dans les véhicules, techniques particulières pour les sessions 1ers secours… Le rendez-vous est donc pris pour la prochaine édition, qui aura lieu à nouveau à Ouagadougou du 3 au 6 novembre. Et bien sûr, on se tient prêt pour étendre le nombre de sessions en 2021 pour répondre aux besoins des nombreuses organisations qui nous sollicitent.